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Jane Hervé, le gué de l'ange

poésie des images et des lettres

LE BALLON ROUGE

Photo Jane Hervé, Le ballon de Lucy.

Photo Jane Hervé, Le ballon de Lucy.

A Lucy Blue

Assise au bord de Seine, je vis passer un ballon rouge, l’un de ces ballons festifs gonflé pour une fête d’enfants. A quelques mètres, il fut  suivi par un autre ballon de baudruche également rouge. Celui-ci disparut tout aussi rapidement derrière la carcasse du paquebot amarré. Une légère bise avait dû les détacher d’une péniche et les emporter. Sans doute lors d’un anniversaire. « Ce n’est pas possible, je suis en train de rêver», pensais-je. De là à imaginer que je voyais double, il n’y avait qu’un pas.. mental que je franchis aisément.  Double vue ou bévue ?

Quelques minutes plus tard, j’annonçais à Mourad assis non loin : « J’ai vu passer un ballon rouge ». Plongé dans l’écran de son portable, il eut un mouvement de sourcil marquant l’étonnement. « Il  y avait même deux... ballons » ajoutais-je. L’amabilité du jeune homme lui évita de me contredire et l’invita même à garder son immuable sourire. C’est à ce moment-là qu’un troisième ballon passa devant nous, se soulevant et s’abaissant négligemment sur l’onde. Vert pale, cette fois-ci. Ouf. J’étais soulagée. Le troisième ballon confirmait a posteriori l’existence des précédents. Mon interlocuteur continuera à croire mes propos sans hésiter.

Lucy au ballon

Cependant ces trois ballons du quai de Javel, glissant si innocemment sur le fleuve, me renvoyèrent  en un flash mémoriel à un autre ballon rouge. Un ballon coincé dans un branchage sur la rivière coulant derrière la coop de Marshfield, dans le Vermont. Au cours d’une promenade, Lucy m’avait convié à découvrir cet affluent. Au moment de s’asseoir dans l’herbe pour évoquer les passions intellectuelles de Lucy, nous découvrîmes,  en face de nous, un ballon rouge coincé dans un branchage. Ce véritable ballon  en caoutchouc épais était d’un rouge vif (1). Complices de nature rêveuse, nous inventâmes son histoire au fil d’une conversation imprévue dont il devint le centre.  Le ballon avait été perdu par un enfant affligé. Il avait été jeté dans un caprice ou une colère. Il avait été oublié la veille sur la rive et happé dans la nuit. Ce ballon-là captait nos regards, porté par un incroyable magnétisme et le fait qu’une simple branche flottante l’avait immobilisé. Un ballon doit bondir et rebondir. L’eau de rivière doit couler et recouler. Inéluctablement. Rien n'était habituel. Nous y revenions sans cesse, à peine distraites par le sac d’amandes posé entre nous deux.

- Tu connais le film Le ballon rouge ? interrogea Lucy.

-Non.

- C’est pourtant un film français. »

Etant une médiocre cinéphile, je ne pus qu’écouter l’évocation éblouie de son film préféré et du cinéaste.

- Si tu veux, viens le regarder chez moi, offrit-elle.

Nous convînmes d’un rendez-vous. Pourquoi pas à dîner ? Lucy habitait dans un trailer, des faubourgs de Marshfield. Elle avait aménagé sobrement le long container à roues. La remorque  transportant jadis des marchandises semblait  s’être arrêtée là, déposant son chargement au milieu des arbustes, afin de permettre à Lucy d’assumer paisiblement ses traductions en français. Trois marches d’escalier en facilitaient l’accès. Le bureau, pièce essentielle avec ordi et dictionnaire, était au fond. Nous nous installâmes à l’entrée, devant la bibliothèque, rejointes par l’amie Helen.

Lucy mit en route le projecteur et un drap d’écran. Le film d’Albert Lamorisse (2), coloré à l’ancienne racontait l’histoire d’un garçonnet des années 50 qui découvre un ballon coincé dans un réverbère. Ce curieux cinéaste entre alors dans la peau du ballon qui  se comporte désormais comme un vrai être humain. Le ballon est ainsi attiré par le ballon bleu d’une fillette. Le ballon se protège sous le parapluie d’un papi. Le ballon joue à cache-cache avec le petit garçon  qui lassé l’abandonne. Les écoliers tendent de le chaparder.  Tout transforme ce ballon en un petit garçon comme un autre.  A la fin, une multitude de ballons tous couleurs hissent l’enfant dans le ciel des rêves. Une montgolfière de bonheur!  Nul doute  ce ballon est magique. L’enfant ne porte pas de nom. Le silence règne (3) juste habité par les bruits de rue et d’école et quelques bribes de musique crincrin.

La fillette aux balles

Quelque chose me troublait.  Nomade déplacée vers l’autre côté du monde en Amérique, j’étais projetée  et  renvoyée  par Lucy - comme une balle -  vers ma terre d’origine (France) et vers un temps d’origine (enfance). Merci Lucy. Mercy Lucie.

Je récapitulais alors mesquinement ma propre histoire avec les balles. Enfant, j’aimais ça. Je manipulais allègrement, puis de plus en plus mécaniquement,  quatre petites balles élastiques rouge, vert, bleu et jaune. Des heures entières. En les lançant contre le mur du pavillon, je marmonnais observée par l’aîné : « Petite tapette, grande tapette, petit rouleau, grand rouleau, tourbillon ». Je tourbillonnais alors sur un pied et rattrapais la quatrième balle de caoutchouc. Je ne suis jamais parvenue à faire le clown à  cinq balles ! Néanmoins dans ma tête, je continue à les lancer, autrement.

Jane Hervé

 (1)  La présente photo en pleine lumière a dénaturé la couleur du ballon, muée en fuchsia. Mon imagination a-t-elle réinventé la teinte après avoir vu le film?

(3)Palme d’or à Cannes en 1956.

(3) Une parole : lorsque l’enfant confie le ballon rouge au concierge de l’école afin qu’il le garde pendant les cours : « Le lâche pas ».

Photo J. Hervé, Lucy

Photo J. Hervé, Lucy

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