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Jane Hervé, le gué de l'ange

poésie des images et des lettres

KATHERINE, LA FILLETTE DU LEBENSBORN

Lebensborn.

Lebensborn.

Sensible aux orphelins du Lebensborn, ces enfants sans passé (1), je continue à les chercher et à vouloir les connaître. Des êtres sans passé pour qui la vie s’est si mal passée. A l’heure où tant d’humains s’inventent un passé factice souvent incontrôlable (faux militants, résistants, anciens combattants, reporters invérifiables de journaux disparus), ces enfants existent encore dans leur vérité muette. Ils nous parlent avec leurs miettes de mémoire. Les entendre est certes une simple capacité de l’oreille, mais les écouter est un ordre moral. Ils sont là, l’âme détruite, réduits à n’être que des animaux.  Exactement comme l’ont été les déportés de  Primo Lévi, là où le regard d’un homme sur un autre « cesse d’être humain »  (2).

Pris dans l’engrenage d’un système totalitaire, ils révèlent aussi, encore et toujours, mais autrement - « la banalité du mal » (3), cet ancrage volontaire en nous de la souffrance et de l’inhumain. Trop méconnus, ces enfants inventés et nés d’une certaine façon d’un système totalitaire, ont  aujourd'hui grandi. Or l’âge les fait disparaître de l’histoire, donc du témoignage et de la reconnaissance.

En parallèle, en complément, en remplacement, en opposition (tous les mots sont faibles, mais je ne sais le dire autrement) à cette destruction de l’homme juif, tsigane, communiste, handicapé, les Nazis ont voulu créer et construire une nouvelle humanité aryenne, descendant des Allemands si blonds aux yeux si bleus. Détruire et tuer des humains d’une part, créer des humains de toutes pièces d’autre part.  On sait comment (via l’ « élevage » lebensborn), on ne comprend  toujours pas pourquoi. Fabriquer un homme  physiquement racisé au nom de la pureté, est-ce une politique créationniste mystique confondant l’extériorité du corps et l’intériorité de l’esprit ? Ne détruisaient-ils pas – aussi - ces enfants en les écartant d’une communauté ou d’une fratrie, en les réduisant à n’être qu’une chimie génétique ? Inconcevable, impensable cette recherche du « sang de bonne race ». Une destruction de la personnalité de l’enfant qui perd toute référence individuelle, une réduction immorale. Cette fois-ci au nom de la ressemblance à un mythe, l’homme-femme aryen.  Pour habiter ce futur empire élitaire  "de 1000 ans"? Mais s'il n'y a que de l'élite, ce n'est plus une élite! Du bon sens.

 

En France

 

Mais ce mal absolu, né cette fois-ci de la naissance aryenne et non de la destruction antisémite, reste inodore, masqué, oublié. Ce pourquoi le témoignage de Katherine Maroger est important. Il dit une certaine Norvège fabricante de bébés en chair et en os, tout comme  Oscar Lalo nous révélait une certaine France (1). Il dit notre humanité défaite et refaite inhumaine.

Dix maternités "aryennes" ont été installées en Norvège par les occupants nazis entre 1941 et 1945. Là, 10 000 enfants surnommés « de Boches », les tyskeungar,  sont nés de l'union d'un soldat allemand et d'une Norvégienne.  Or les archives de ce pays n’ont pas été détruites…

Katherine, l’une de ces fillettes,  explore « les racines du silence », propres à sa naissance (4).e le 22 septembre 1944, elle a été adoptée à deux ans par une famille française et est devenue médecin. Comment se construire sans savoir d'où elle vient ? Elle  a remonté le cours de son histoire jusqu'à sa source. Cet itinéraire l’a conduite aux fjords d’origine, à la recherche de sa mère biologique. Là, elle se découvre née dans un Lebensborn en Norvège, d'une relation entre une jeune Norvégienne et un soldat occupant allemand. Elle a donc vu le jour dans une de ces « maternités à tête de mort », mises en place par les nazis pour repeupler l'Allemagne, pour promouvoir une « race » prétendument « supérieure »… Certes elle a échappé au destin habituel des nouveau-nés dans ces  «  élevages humains » par son adoption dans une famille française.  Elle retrouve alors sa famille biologique norvégienne, puis son père allemand. Elle ose s’interroger sur elle-même sans jamais se laisser emporter par le désespoir. Se reconstruire sans souvenir est sa vie.

 

Les droits de ces enfants                                                                                           

 Tant d’autres bébés nés dans le pays de sa naissance, la Norvège, ont connu, eux, de terribles souffrances. L’une a une croix gammée tatouée sur son front, l’autre a été brûlée par sa propre mère avec un fer à repasser, l’autre ne peut toucher le corps de sa mère que morte, l’autre est placé dans une institution psychiatrique. Ils-elles ont des prénoms : Paul, Harriet, Tove Laila, Karl (5). Ils sont des victimes méprisées, moquées, maltraitées et surtout oubliées. Plus de 150 de ces Norvégiens au destin brisé, stigmatisés dès l'enfance, ont accusés les autorités de leur pays de discrimination et de n'avoir rien fait, au fil des décennies, pour réparer le préjudice subi.

Dix-neuf d'entre eux ont formulé une requête à l'audience de la Cour européenne des droits de l'homme, à Strasbourg en 2007. Quelques centaines de ces enfants maltraités tentent d'obtenir réparation de l'Etat norvégien. Sortis de l'anonymat tardivement, à mesure que leurs propres parents vieillissaient, ils risquent d'emporter leur secret dans la tombe. Eux aussi ont eu des enfants. Et leurs propres enfants commencent à leurposer des questions. Savoir est une exigence morale.

En 1999, l'une des trois associations d' « enfants d'Allemands » a porté l'affaire devant les tribunaux norvégiens. Lors des vœux du Nouvel An  2000, le premier ministre a présenté "au nom de l'Etat norvégien" des "excuses pour la discrimination et l'injustice qu'ont subies les enfants de la guerre". Aucun procès n’est prévu car les tribunaux norvégiens invoquent la prescription. Prescrire le mutisme donc, alors qu’il y a tant d’explosions de souffrance … n’est-ce pas révoltant ?

En 2005, une enquête révèle pourtant que ces personnes de 60 à 65 ans (cad 74 ans et 79 aujourd’hui) ont eu des conditions de vie nettement plus mauvaises que leurs contemporains : mortalité plus importante, plus de problèmes de santé, un niveau de formation plus bas, des revenus en-dessous de la moyenne, plus de chômeurs, un taux de divorce plus élevé.

Un silence encore de notre société qui a peur d’elle-même et de ses actes passés. Reconnaître, c’est pourtant connaître. Avoir laissé et continuer à laisser faire trahit notre humanité, comme jadis la Shoah l’a trahie.

 

(1) L’orpheline qui n’était pas née, Le gué de l’ange, 12 avril 2021. D’après l’ouvrage d’Oscar Lalo (La race des orphelins, Belfond).

(2) Si c’est un homme, Primo Levi y décrit son expérience dans les camps : « son regard ne fut pas celui d’un homme à un autre homme ». 

(3) Expression de Annah Harendt pour qualifier le procès d’Eichmann.

(4) Source : Les Racines du silence Éditions Anne Carrière   

(5) Olivier Truc, Le Monde, 2007.

 

Jane Hervé

(Merci Michel qui, comme Socrate, est le taon qui éveille et réveille nos esprits...)

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Pour info, Jane Hervé, Recours au poème, 208, sur Antoine Vitez:

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