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Jane Hervé, le gué de l'ange

poésie des images et des lettres

L’ÉTERNITÉ D’UNE CERTAINE MARIA...

Source Coups de cœur Overblog.

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Que faisais-je Porte de Versailles hier à 16h ? Je traversais la place pour emprunter le tramway. Pour me distraire car j’étais en avance, je passais dans le faux escargot US de Dan Graham. Ces deux arcs de cercle de verre transparents, curieusement imbriqués l’un dans l’autre, avaient néanmoins une ouverture – aussi transparente que l’œuvre – qu’il valait mieux trouver pour entrer à l’intérieur de cet espace si parfaitement transparent…qu’on est finalement aussi bien à l’extérieur. L’œuvre s’intitulait From Boullée to Eternity. L’architecte Boullée, pourtant français, est plus largement méconnu du grand public que cette « éternité » à qui Graham le relie. Révolutionnaire et homme des Lumières au XVIIIème siècle, il estimait que son art civique devait former et conduire les citoyens au bonheur. Et ce que le monument soit utile ou simplement plaisant. N’est-ce pas une merveilleuse pensée que de penser ainsi aux autres ? Au sortir de ces deux arcs miroitants sans me cogner au verre, j’avançais – via Boullée - vers le quai du tramway qui devait probablement me conduire à l’Eternité !

 *

 Or à l’entrée du quai, je tombe soudain sur l’une de ses réconfortantes niches en bois qu’on verrait bien, en boîte à lettres, devant un chalet suisse. Une boîte publique au toit pointu que je n’avais pas remarquée jusqu’alors ou que j’avais oubliée. Avec Brigitte, avec Anne, avec Nicole, j’aimais pourtant y fouiller ou y farfouiller. Elle servait souvent de dépôt à des livres qu’un lecteur a envie de transmettre ou dont il cherche à se débarrasser tant il est submergé, parfois même asphyxié, par l’incroyable prolifération domestique des folios…Des vraies boîtes à surprise...Tant d’ouvrages brochés, jaunis, épuisés par le temps, eux aussi.

Sur l’étagère, dix cassettes de musique semblables, toutes pelliculées, s’étalaient. Bizarre.  Avais-je bien vu ? Qu’était-ce à penser ? Qui avait déposé ces objets neufs ? Dix fois le même ? Ce n’était plus l’une de ces bouteilles à la mer à repêcher au passage et au hasard pour en jouir. Elles étaient identiques, complètement identiques, à la limite de l’identique, ces K7 de Marcia Maria. Une totale inconnue. L’artiste les avaient-elles déposées ici de désespoir devant l’insuccès ? C’est la première idée qui me vint à l’esprit. Pensait-elle que quelqu’un les consulterait, les glisserait dans sa chaîne hi-fi, l’entendrait et l’écouterait enfin ? Une oreille secrète à conquérir. Sur le CD, Le visage métissé de « Maria », les dizaines de petites tresses voletant devant ses lèvres et striant ses joues, à la fois noires et brillantes, masquaient un air infiniment triste.  Son seul regard était un appel. Je ne pouvais pas la laisser dans cette cage de bois trop solitaire. J’empruntais donc la cassette de sa composition.

A domicile, j’écoutais cette Brésilienne chanter le fruit mur, la maison d’Armando, l’amour dans la paix, notre amour, tu me manques, les combats, Une voix douce, d’une infinie désespérance jazzy cherchait la tendresse sur un air de bossa nova. Sur Internet, je trouvais même un chant Corcovado, sur ce mont « bossu » de Rio de Janeiro sur lequel est juché le Christ roi. En juin 2014, la chanteuse aux mille tresses faisait planer la « saudade » (1). Elle développait ses mélopées sans artifices, sans fioritures, sans chichis, sans gestes excessifs, bref très naturelle sans théâtralisation maladive. Ses musiciens précisaient « son talent, son charme, sa gentillesse ».  Maria était aimée. Elle est décédée le 27 juillet 2018. Sa voix jazzy n’a pas percé dans le monde de requins musicaux, malgré un passage à la Note bleue, à Monaco.

Sur Internet, je trouvais aussi un site de vente de ce dernier CD Compositor (2005), celui que j’avais entre mes mains. L’un de ses amis, le pianiste ou le bassiste a-t-il glissé les derniers CD en sa possession dans cette boîte? Au revoir, Maria. L’«éternité » est devant toi.

Jane Hervé

 

  1. Saudade, tristesse.
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