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Jane Hervé, le gué de l'ange

poésie des images et des lettres

L’ORPHELINE QUI N’ĖTAIT PAS NĖE

Lebensborn, source Mediapart.

Lebensborn, source Mediapart.

« On vient de lire avec Yvette  La race des orphelins d'Oscar Lalo (1) sur les Lebensborn (2). C'est rude, mais tellement nécessaire d'informer sur cette folie  des nazis commandés par Himmler : la création de petits aryens, une monstruosité. Toutes les archives ont été détruites et les responsables...graciés!!!! Ces enfants abandonnés ne sont même pas des orphelins, car ceux-ci ont un père ou une mère  disparu dans un accident, à cause d'une guerre... Là, ils ne savent rien d’eux, rien du tout. Nul ne savait  rien!  Ca nous a brassé, même si on savait déjà! ».  Souvent Michel Julliard, peintre au cœur engagé, m’annonce les lectures menées en chœur avec sa chère épouse. Elles font écho à mon ignorance enthousiaste, m’incitent à prendre aussi le temps de lire. 

Pour moi, c’est un choc en retour, un ricochet dans le passé. Ma mère avait à plusieurs reprises évoqué ces Lebensborn, où des nouveau-nés élevés sans parents allaient se muer en purs aryens. Elle n’avait pas compris ni révélé l’horreur pédagogique et humaine. « Les enfants ne voyaient que des ampoules allumées tout le jour», affirmait-elle. Gamine, j’imaginais alors ces lumières, tels des géniteurs dont le visage se penchait sur les berceaux. Rien alors ne paraissait scandaleux.

En France aussi…

La France n’a pas été épargnée. Tout près de Chantilly, on a aussi ouvert un Lebensborn - maternité SS et hara humain - entre 1943 et mai 44.  Le projet avait germé dans l'esprit des nazis au printemps 1942.  Ils jugeaient les Français comme un peuple abâtardi,  issu de sang mélangé et  "racialement" sans intérêt (3).  Heinrich Himmler en visite régulière à Westwald – ancienne propriété du chocolatier Menier à Lamorlaye (4), veut tout connaître du quotidien des enfants : nourriture et variété des menus,  taille et poids des nouveau-nés, forme du nez... Le Reischführer SS n’a qu’une obsession : redonner à la "race" allemande sa supposée pureté originelle et sélectionner des géniteurs grands, blonds, aux yeux bleus. Les hommes sont incités à procréer en dehors du mariage. Les femmes enceintes d’un enfant illégitime  l’intéressent en priorité. 

Gregor Ebner, médecin général SS accoucheur en chef de ce Lebensborn, y effectue un rapport d’inspection le 24 avril 1944. "Une activité impressionnante règne dans les pièces du rez-de-chaussée : salle de visite, chambres des mères et réfectoire. Les chambres manquent toutefois de couleur et d’images accrochées au mur. Les berceaux sont fabriqués dans un matériau très sommaire, ce qui les rend dangereux. Il manque plusieurs objets nécessaires, comme, par exemple, un seau pour jeter les couches ou encore des tables de nuits". Il ajoute une note positive : "Les mères séjournant à Westwald font bonne impression sur le plan racial et semblent bien intégrées".  

Le journaliste Boris Thiolay recherche les enfants français du Lebensborn dans les archives du Service International de Recherche de la Croix-Rouge, à Bad Arolsen. Il y a ceux dont les prénoms furent francisés, ceux qui furent adoptés et reçurent le nom de leur nouvelle famille, celles qui se marièrent et changèrent de noms ou simplement les personnes qui quittèrent l’Europe. Selon un rapport français de 1948 des archives du Ministère des Affaires Etrangères, il y a eu 23 naissances à Lamorlaye, dont celles d’Erwin Grinsky  et  de Jean-Pierre.

                              

Hildegard, une vie née-morte

Lire le livre de Lalo, c’est prendre autrement l’histoire, adopter le point de vue d’une de ces femmes nées dans le Lebensborn : Hildegard Muller aux « souvenirs diaphanes ». De paragraphe en paragraphe, elle essaie de reconstituer sa vie née d’un vide absolu, d’une inexistence sociale et humaine : « Une vie née-morte »

 « J’ai parlé tard, précise Hildegard. Quand je parle je chuchote. Si vous collez votre oreille à cette page, vous entendrez des mots qui ne s’écrivent pas, mais qui ne se parlent pas non plus. » L’ouvrage recueille et interprète ces chuchotements. Car « Penser  est périlleux ». En effet, le Troisième Reich a la hantise que « les porteurs de secrets Geheimnisträger témoignent ». Pire que de « porter le secret de sa naissance »,  est de le méconnaître : « Mon drame, c’est que j’ignore tout du secret que je porte en moi ».  Elle a été « condamnée à mort à la naissance », à être sans mémoire. Recueillie  ensuite dans un couvent voisin de religieuses salesiennes, il lui manquait plus que tout « la tendresse ». Le moindre geste humain effrayait. A quatre ans, les enfants ne parlaient pas. « Analphabète en tout. Ni lire, ni écrire, ni aimer, ni toujours, ni enlacer. Même notre amour, ânonne » Il y a eu un véritable crime d’ « abandons » de « non-assistance à bébés en danger » Tous « orphelins de parents vivants, disparus sans laisser d’adresse. Pas vraiment morts. Pas vraiment disparus. Pas vraiment parents ».

Et , elle, Hildegard.  Je la vois apparaître au fil du récit dans toute sa transparence douloureuse. Insaisissable. On ne l’appelle pas la petite Müller mais « la petite Lebensborn », la sans famille. Elle n’a pas de nom propre. Lebensborn devient «  un nom générique », comme un médicament. Pas un médicament qui soigne, mais « qui rend malade.  Elle est réduite à un prénom et un numéro d’immatriculation. Tout a été brûlé. Seul un document, fourni en cas d’adoption, certifiait que l’enfant était « de race aryenne ».

*

Et pourtant avec ce terrible ouvrage impossible à écrire, Oscar Lalo réussit à donner une réalité à Hildegard. Hildegard existe désormais.

 

Jane Hervé

 

  1. Pointillés, Ed. Belfond.
  2. Lebensborn, en français source ou fontaine de vie.
  3. Selon l'historien Fabrice Virgili.
  4. L’ancien "château Menier" est baptisé « Tournebride » par la famille du propriétaire.
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